Retour aux sources.
Se couper de ses racines, abandonner ses proches pour aller chercher ailleurs un meilleur avenir, et après bien des années revenir dans son village ce retour ne se fait pas sans émotion. Partir, n’est ce pas quelque part renier son passé, comment ne pas ressentir un sentiment de culpabilité lorsque revenant sur la terre de ses ancêtres on aperçoit au loin le clocher de son village.
Dans certaines zones rurales les paysans des années cinquante, pris dans la tourmente de la modernisation, ont assisté impuissants et résignés au départ de leur jeunes, les fermes trop petites, sans confort, les villages enclavés loin de tout, ne nous promettaient aucun avenir, ce n’était pas la misère, mais c’est certain la fin d’une époque venait de sonner. Le coup était rude pour certains parents qui misaient sur la relève et qui voyaient dans le départ du dernier fils leur rêve tourner en cauchemar. Tous ne partirent pas, quelques uns plus courageux ou qui ne voulaient pas abandonner leurs parents, décidèrent de rester, c’est bien grâce à leur dévouement que certaines zones rurales particulièrement difficiles ont été sauvées de l’abandon.
Il convient aujourd’hui de ne pas les oublier, malgré un labeur quotidien sept jours sur sept leur avenir est encore incertain. Des aides financières leurs furent accordées sous condition de construire des locaux d’exploitation plus adaptés. Rien ne fut facile les coutumes et les habitudes ancestrales ont la vie dure, les villages allaient connaître en quelques années un grand changement. Fini les modestes étables de quelques vaches qui jouxtaient la pièce principale de la maison et ajoutaient en hiver un complément de chaleur. Ces nouvelles exploitations à l’écart du village se signalent par de grands hangars en tôle ondulée qui n’embellissent pas le paysage, mais qui oserait critiquer ces courageux pionniers.
Partir n’efface pas nos souvenirs de jeunesse ils restent à jamais gravés dans notre mémoire, ne pas retrouver ces lieux qui nous ont vu grandir tels que nous les avions laissés s’accompagne d’un manque bien compréhensible. Les maisons sont toujours là formant un ensemble désordonné, qui confère au village un charme indiscutable. Quelques maisons sont encore partiellement habitées ou comme qui dirait à moitié mortes, mais ou se cachent leurs habitants ? Faut me rendre à l’évidence le village animé de mon enfance n’est plus. Modernisation a rimé ici avec disparition, les artisans n’ont pas échappé a cette razzia, et pas davantage l’instit que le curé.
A l’entrée du village quatre poteaux en granit sont toujours là c’est ici que nous venions ferrer les vaches, ces pauvres bêtes en plus de nous donner du lait, tiraient la charrue et autre matériel agricole, les chemins pierreux mettaient à mal leurs sabots. Placé au cœur du village le four communal ou chaque famille venait cuire son pain est en ruine, son hall était autrefois un lieu de palabre, pendant que le pain cuisait des conversations animées allaient bon train. C’est aussi là que s’installait parfois quelque nomades rétameurs ou aiguiseurs de couteaux. La bas sur le coteau la petite église est toujours là un peu tristounette son portail mériterait un coup de peinture, je n’ose pousser la porte j’ai peur de la trouvée verrouillée, mais non, un bouquet de fleur pas encore fanées trône à l’autel, preuve rassurante que le cœur du village palpite encore. Je faits une visite au cimetière mes ancêtres sont là, moment d’émotion… Plus loin un peu à l’écart à proximité du pont qui enjambe la rivière le moulin est depuis longtemps mort de faim ou de soif, sa roue rouillée mériterait une fin plus honorable. Ma visite ne serait pas complète si je n’allais pas voir l’école elle n’a pas trop mal vieilli toujours là un peu altière, elle est barricadée dommage j’aurais bien aimé visiter le grenier qui sait si mes cahiers mensuels ne s’y trouvent pas encore. La cour en terre battue sert aujourd’hui de dépôt de bois. La cloche qui autrefois sonnait la rentrée et la sortie des élèves a disparu, n’en reste que le gibet scellé au mur, pas très gai comme souvenir. J’aurais bien aimé l’entendre tinter encore une fois.
Partir à la rencontre des anciens du village m’inquiète un peu, je ne leur dirai pas que j’ai trouvé le village bien changé j’aurai trop peur que malicieusement ils me répondent : toi à peine un petit peu .
Raymond